Une société de précarité et de débrouille

La population en Guadeloupe représente environ 450 000 habitants, elle est de 250 000 en Guyane, le chômage est en moyenne de 26% de la population active (INSEE 2014) plus du double de celui de la métropole. Le PIB/hab. est de 19 812€ (statistiques INSEE 2013) avec une progression annuelle de 0,8%. Ce taux est de 27% inférieur à celui mesuré en province (hors Ile de France). Ces chiffres sont proches de ceux retrouvés dans une étude menée par Françoise GUILLEMAUT en 2009, « un PIB par habitant de 17 400 € en Guadeloupe contre 29 800 € en France métropolitaine, un taux de chômage avoisinant 25 % (22 % des sommes contre 30 % des femmes) et un nombre de bénéficiaires du RMI bien supérieur à celui de la métropole (15 % de la population dont 90% sont des femmes). Une économie basée sur le secteur tertiaire la consommation des ménages». Ces territoires font partie, selon les critères européens, des régions ultrapériphériques. Face à cela, les habitants s’organisent à travers des jobs pour tenter d’augmenter leurs moyens de vie.

Une société de l’injustice légitimée

La société guadeloupéenne a été construite sur l’injustice, sur l’exploitation de l’homme par l’homme, selon la couleur de peau qui est la nôtre et ceci perdure de nos jours (Jean-Luc BONNIOL : La couleur comme maléfice).

Il n’y a pas eu 1789, pas de révolution : les descendants des anciens colons, sont ceux qui contrôlent une très large partie de l’économie.

Le pouvoir économique, malgré les lois antitrusts, est concentré dans les mains d’une même famille qui contrôle l’économie, les circuits d’approvisionnement et de distributions: 8 voitures achetées sur 10, le sont dans les mains du même chef d’entreprise.

L’inéquité du statut de salarié : les fonctionnaires ont la garantie de l’emploi et perçoivent une sur rémunération de 40%, alors que les salariés du privé n’ont pas cette garantie de l’emploi et ne perçoivent pas de sur rémunération.

La situation de jobeur devient généralisée et entre dans le calcul des moyens matériels, faute d’activité professionnelle.

Une société monoparentale ?

On a très longtemps, associé la monoparentalité (36% des familles guadeloupéennes) à la difficulté d’insertion sociale, à la déviance et pour tout dire à la délinquance. En réalité, ce n’est pas la constitution de la famille qui va créer la déviance, mais c’est la difficulté pour la famille de transmettre des valeurs à l’enfant. Mais c’est aussi le choix de celui-ci, de se laisser influencer, par des valeurs déviantes, qui souvent s’opposent à celles de sa famille. Ce serait selon Laurent MUCCHIELLI, davantage les modes d’expression relationnels, les conflits entre parents, l’exclusion et la précarité sociale qui influencent le comportement des enfants, que la monoparentalité elle-même.

Une société dans le refus de l’aide éducative

Comme dans toutes les familles, les enfants sont influencés par le monde extérieur, par les médias. Le modèle familial qui sera investi par les enfants, ne sera pas forcément celui de la famille dans laquelle ils évoluent, mais celui que leur transmet la télévision ou internet. Et comme toutes les familles, les familles guadeloupéennes vivent dans l’ambivalence, dans le désir d’être soutenu par la famille élargie (les grands-parents, les oncles et tantes, mais aussi les voisins, les amis) et dans celui de se débrouiller afin de ne pas avoir à remercier des étrangers. Cependant, elle ne fait pas toujours la démarche de demander de l’aide, lorsqu’elle se trouve en difficulté et par conséquent, son modèle référentiel demeure souvent unique ; celui que l’enfant devrait privilégier. Et de fait, elle court le risque, de voir ses enfants s’opposer de manière farouche à son modèle, à ses représentations, qui entre en conflit avec des représentations sociales, qui elles aussi influencent l’enfant et qui sont souvent perçues comme plus attractives.

La violence en Guadeloupe : un phénomène exacerbé et endogène

Les dernières statistiques du Ministère de l’Intérieur (mai 2016) à propos des violences dans les 7 départements français d’outre-mer, est relativement éloquente, concernant les différentes formes de violences constatées dans ces départements. Le taux de délinquance, y est quasiment plus élevé, à une ou deux exceptions près, que dans l’Hexagone. La Guadeloupe apparaît en tête, quelques soient les formes de violence, sauf pour les vols sans violence, pour laquelle la Guyane est en tête. À l’inverse, à Saint-Pierre-et-Miquelon la violence est extrêmement faible et très nettement en dessous de la moyenne nationale. La comparaison entre les statistiques de la Martinique de la Guadeloupe, permet de constater que ces deux départements très proches du point de vue de la géographie, de la superficie, du nombre d’habitants, de l’organisation familiale, des structures économiques, ont cependant des chiffres très différents pour ce qui concerne les vols avec arme, les violences intra familiales, les vols sans violences, les homicides et les viols. Pour ces 5 facteurs, la Guadeloupe est en tête et très nettement pour trois d’entre eux (vols avec arme, violences intra familiale, viols). Depuis 2009, la violence en Guadeloupe est avant tout une violence endogène, puisqu’elle est passée du vol, de l’agression, de l’étranger, à l’agression de celui qui nous ressemble. Ce qui expliquerait aussi, que les violences intra familiales soient beaucoup plus importantes en Guadeloupe, que dans n’importe quel département français d’outre-mer et de l’Hexagone.

Le phénomène des gangs en Guadeloupe

L’étymologie du mot gang réside dans l’Allemand Gang, Gehen, qui signifie littéralement marche, marcher. L’expression « gangs de rue » fait référence à des groupes d’adolescents et de jeunes adultes qui partagent une identité commune et affichent des comportements antisociaux ou criminels. Les différents groupes peuvent se distinguer par leur niveau d’organisation et d’implication dans des activités criminelles violentes, leur manière de s’habiller, leurs signes de ralliement. Pour Sullivan, le gang est un regroupement d’individus partageant des codes et des règles de conduites relativement bien définis, et des signes et des symboles distinctifs qui viennent montrer leur appartenance au groupe. Ils vivent des difficultés comme beaucoup à l’adolescence: problèmes familiaux, difficultés scolaires, consommation de drogues, etc. Les bandes de jeunes répondent à certains besoins normaux des adolescents, dont principalement le sentiment d’appartenance. Le gang offre reconnaissance, fierté, amitié, etc. À l’intérieur du gang, le jeune se sent valorisé, du moins pour un certain temps.

Une apparence similaire, une réalité similaire ?

Nous avons pu constater, qu’il s’agisse des Chien Lari ou de Section Criminel, une apparence similaire, celle de l’attrait pour le rap, à travers sa médiatisation par des clips ou des chansons, celle de l’adhésion à la lutte des peuples opprimés, celle de l’adhésion à la cause du peuple noir meurtri poursuivi, exploité, martyrisé et enfin, celle de la lutte contre l’injustice sociale.

De même, il existe un attrait pour les conduites délinquantes, pour la confrontation avec la police, pour l’exploitation de l’image des femmes comme objet sexuel et la participation au trafic de stupéfiants et à l’économie criminelle. « Trois membres du groupe de rap Chien Lari, dont le chanteur Gambi G, sont écroués depuis les 9 et 10 janvier. Malgré leur dénégation, ils ont été mis en examen dans un trafic d’exportation de cocaïne à destination de Toulouse, la région parisienne et Clermont-Ferrand. La cocaïne était dissimulée dans du rhum et des poupées. Olivier DABIN, Substitut du Procureur eu TGI de Pointe-à-Pitre : Mais la consultation des pages Facebook de ses membres ou encore le visionnage de ses clips démontrent très clairement qu’il y a manipulations d’armes, de billets de grande valeur et en quantité, ou encore de stupéfiants, posant forcément questions. Je n’entends pas tirer, ici et aujourd’hui, de conclusions même si quelques affaires portant sur des stupéfiants ont déjà abouti à ce gang par le passé. A mon sens, il ne s’agit pas d’un gang au sens américain mais à la criminalité des gangs, de la mesure où les vols avec arme commis, sont essentiellement d’un groupe criminel pas structuré et pas organisé qui a tout de même une finalité : participer à une délinquance organisée portant notamment sur les stupéfiants. (F.A. du 16 janvier 2014).

La Guadeloupe : une société du tuning

Le tuning est une activité qui consiste, pour les amateurs, à personnaliser et transformer leur véhicule de série pour le différencier des autres véhicules de série. Et cela généralement sur des automobiles. Il se caractérise en général, par l’installation d’accessoires intérieurs et extérieurs, de pièces mécaniques ou électroniques pour personnaliser de manière souvent excessive le véhicule. Il peut être effectué dans un but esthétique, sonore, ou pour améliorer les performances. Le tuning est parfois considéré par les amateurs d’automobiles de série, et plus généralement le grand public, comme un loisir pratiqué par les couches populaires de la société. Une telle pratique, est retrouvée dans les banlieues, qui présentent des conditions socio-économiques, proches de celles de la Guadeloupe. Aussi, nous pouvons par conséquent penser, en raison de la précarité économique régnant en Guadeloupe, que le référentiel serait davantage celui de la banlieue, que celui de la société économiquement intégrée et que la Guadeloupe serait une vaste banlieue.

En partant de ce constat, on peut imaginer quel serait le référentiel, qui serait celui des jeunes adultes, et des adolescents de notre société. On peut constater aussi, un certain attrait pour les gangs de rue, qui sont directement liés au phénomène des banlieues françaises. Mais tout comme dans le tuning, on va se rendre compte que le produit fini, est différent du produit initial, même si ses manifestations en apparence sont les mêmes.

Une réalité différente

Si le référentiel est le même, les manifestations extérieures en partie les mêmes, que celui des banlieues et en particulier l’attrait pour le tuning, on ne peut pas penser que le phénomène serait effectivement le même. La réalité est différente dans la constitution. Il n’y a pas eu, comme dans le cas des Blacks Dragons, structurés par Yves LE VENT venu des Etats-Unis et adhérent aux Blacks Panthers, la mise en place de groupes de noirs organisés, afin de lutter contre les Skinheads, groupes se définissant comme profondément racistes, antisémites et fascistes. Deuxièmement, il n’existe pas une véritable économie parallèle, construite sur les vols avec arme, dans la mesure où ces actes portent essentiellement sur des sommes relativement modestes et sur des particuliers. Troisième idée, il y a pas non plus, de trafic de stupéfiants, organisé à une grande échelle, d’une part parce que le territoire est exigu et d’autre part, parce que les connexions pour ce qui concerne trafic de stupéfiants, est relativement restreint.

En réalité, il s’agit avant tout, de bagarres entre groupes, entre bandes, à travers cette violence que nous avons qualifiée d’endogène, qui découle directement des évènements de 2009, plus que la mise en place d’une économie parallèle, qui pourrait concurrencer, voire remplacer, l’économie officielle. Autrement dit, tant qu’ils en sont à se battre, à manifester de manière bruyante et excessive leur présence, les dirigeants de l’économie officielle, peuvent dormir sur leurs deux oreilles. On peut, comme le dit l’un des auteurs des Blacks Dragons, penser que la discrimination officielle, en raison de la couleur et de l’appartenance à une communauté n’existant pas, il n’y a pas de système d’injustice à combattre. De plus, la mise en place de moyens économiques de substitution, caractérisés par les nombreuses aides sociales et financières apportées, réduit le décalage social et financier, dans la société. Il ne faut pas négliger, l’impact de la rénovation urbaine, que ce soit à Pointe-à-Pitre ou à Baie-Mahault, qui réduit cette situation de précarité et permet aux personnes non seulement de se loger dans les conditions décentes, mais aussi, d’éviter le regroupement de personnes en grande précarité, propice à créer les situations de violence sociale. De plus, la possibilité d’accès aux soins dans le système français, réduit aussi les injustices sociales, liées aux différences de moyens économiques et financiers. Le président Obama l’avait bien ressenti, à travers la création de son Obama Care. Mais c’est aussi, parce qu’ils n’ont pas d’ennemi commun, qu’ils s’affrontent en permanence ; l’ennemi étant, depuis 2009, celui qui a été désigné comme l’autre qui nous ressemble. Il résulte de ce fait, davantage de combat, de provocation, de course de moto, de conflit, à la suite d’une intervention intempestive dans le territoire de l’autre, que d’une réelle volonté d’hégémonie, pour s’approprier le territoire de l’autre pour s’approprier, le contrôle économique, à travers le trafic de stupéfiants ou à travers la prostitution ou encore la vente des armes. Bien évidemment, ce n’est pas parce que ce phénomène est plus réduit chez nous, qu’il faut le banaliser ou encore penser, qu’il ne pourrait pas s’étendre. En effet, tant que les facteurs qui favorisent un minimum d’intégration, tant qu’il existe une précarité globale de la population, tant que les injustices sociales ne sont pas aussi tranchées, on peut penser qu’il pourra persister une relative paix sociale. Toutefois, il s’agit de lutter contre cette violence endogène, en rétablissant d’une part l’effort, le goût du travail, la volonté de réussir, ainsi que les modèles de l’intégration sociale, au travers notamment ce que le président Sarkozy appelait la discrimination positive, mais aussi, en redonnant espoir, en évitant aux personnes en difficulté, de penser que celles qui sont intégrées et en particulier les politiques, puissent bénéficier d’une impunité totale ou que, celle appartenant à un syndicat, aient tous les droits, sans aucun devoirs. Il s’agit par conséquent de construire une société plus juste, qui serait fondée sur la valeur humaine, sur l’amour de soi, sur l’amour des autres, sur la dignité, l’honneur, et la probité, que sur l’unique satisfaction de ses besoins individuels.

De: Errol Nuissier

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